
Le Conseil d’Etat annule des dispositions prévoyant l’effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées par des tirs non létaux

Les
ministres de la Transition écologique et de l’agriculture ont pris arrêté du 12
juin 2020, relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures
d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages
aux troupeaux.
Deux associations attaquent cet arrêté.
L’ours
fait l’objet d’une protection qui résulte de la directive 92/43/CEE du Conseil
du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la
faune et de la flore sauvage, dite directive " Habitats ". L'article
16 de la directive énonce toutefois que :
" 1. A condition qu'il n'existe
pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au
maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces
concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent
déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a)
et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures,
à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de
propriété ".
"
Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées
:
1° La
liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques
(...) ainsi protégés ;
2° La
durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application
du I de l'article L. 411-1 ;
3° La partie du territoire sur laquelle elles
s'appliquent (...) ;
4° La délivrance de dérogations aux interdictions
mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe
pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce
expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme
extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la
dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable,
des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle
: (...)
b) Pour
prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage (...) et à
d'autres formes de propriété " (art. L. 411-2 du code de l’environnement).
L’arrêté
prévoit des effarouchements par des moyens sonores ou olfactifs mais également
par des tirs non létaux
Pris sur le fondement de ces dernières dispositions, l'arrêté attaqué du
12 juin 2020 a pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu'au 1er novembre
2020, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à
l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être
accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques.
Son article 2 autorise le recours à des moyens d'effarouchement selon deux modalités,
l'effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et
l'effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux. L'article 3 de l'arrêté
fixe les conditions de mise en œuvre de l'effarouchement simple, justifiée par
la survenance d'au moins une attaque sur l'estive lors de l'année précédente ou
d'au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes.
L'usage de la dérogation est conditionné à la mise en œuvre effective et
proportionnée de moyens de protection du troupeau tels que définis par les
plans de développement ruraux ou de mesures reconnues équivalentes, sauf si le
troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé.
Le déclenchement des
opérations d'effarouchement n'est possible qu'en présence d'indices de la présence
récente de l'ours brun à proximité du troupeau.
Les dispositions prévoient une
information préalable par les agents de l'Office français de la biodiversité et
un compte rendu annuel de réalisation adressé au préfet.
L'article 4 de
l'arrêté précise les modalités de mise en œuvre de l'effarouchement renforcé,
subordonné à la mise en place de l'effarouchement simple et à la survenance,
malgré la mise en œuvre effective de moyens d'effarouchement simple, d'une
deuxième attaque en moins d'un mois ou, sur les estives ayant subi au moins
quatre attaques sur les deux dernières années, dès la première
attaque imputable à l'ours.
L'article 5 de l'arrêté prévoit l'autorisation du
directeur du parc national des Pyrénées pour toute mesure d'effarouchement dans
le cœur du parc.
La
protection de l’ours brun est nécessaire
Les
requérants soutiennent que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de
précaution tel que défini par l'article 5 de la Charte de l'environnement.
Le
Conseil d’Etat rejette l’argument : les risques invoqués pour la viabilité de
l'espèce, s'agissant d'une règlementation ayant pour objet d'organiser les
conditions de mise en œuvre de dérogations au principe de protection des
espèces protégées et de leurs habitats posé par la directive 92/43/CEE du 21
mai 1992 et les articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement, ne
sont pas au nombre de ceux, présentant des incertitudes en l'état des
connaissances scientifiques, qui sont visés par cet article.
Dès lors, le moyen
soulevé ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
La condition relative à l'existence de dommages importants à l'élevage
Les
dispositions de l'article 3 de l'arrêté attaqué conditionnent le recours à des
mesures d'effarouchement simple au fait que le troupeau ait subi " au moins
une attaque sur l'estive au cours de l'année précédant la demande ou d'au moins
quatre attaques cumulées sur l'estive au cours des deux années précédant la
demande ". Les dispositions de l'article 4 de l'arrêté attaqué autorisent
la mise en œuvre de mesures d'effarouchement renforcé " dès la deuxième
attaque intervenue dans un délai inférieur à un mois (...) ou, pour les estives
ayant subi au moins quatre attaques cumulées sur les deux années précédentes,
dès la première attaque imputable à l'ours (...). " Une attaque est
définie à l'article 3 de l'arrêté attaqué comme " toute attaque pour
laquelle la responsabilité de l'ours n'a pas pu être exclue et donnant lieu à
au moins une victime indemnisable au titre de la prédation de l'ours ".
Les dispositions de l'arrêté attaqué ne permettent ainsi le recours à des
mesures d'effarouchement, simple ou renforcé, que dans le cas où le troupeau
concerné a déjà subi des dommages caractérisés.
Par suite, le moyen tiré de ce
que l'arrêté attaqué méconnaîtrait la condition relative à l'existence de
dommages importants à l'élevage posée à l'article L. 411-2 du code de
l'environnement doit être écarté.
La
méconnaissance de la condition relative au maintien, dans un état de
conservation favorable, des populations de l'espèce dans son aire de
répartition naturelle et de la condition relative à l'absence d'autre solution
satisfaisante
La nécessité de protéger les élevages est au nombre des motifs qui
peuvent justifier, aux termes des dispositions précitées de la directive
92/43/CEE du 21 mai 1992, une dérogation à l'interdiction
de perturbation intentionnelle des conditions de vie d'une espèce protégée au
titre de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, dont l'état de
conservation est défavorable.
Mais, de telles mesures dérogatoires ne peuvent
être adoptées que si elles ne portent pas atteinte au maintien des populations
concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas
l'amélioration de l'état de l'espèce.
Il
ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport réalisé par le conseil
général de l'environnement et du développement durable et le conseil général de
l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux, publié en septembre
2018, qu'en l'état des connaissances disponibles, les mesures d'effarouchement
simple par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, mises en œuvre dans les
conditions prévues par l'arrêté attaqué, et uniquement lorsque des indices de
la présence récente de l'ours à proximité du troupeau ont été relevées, ne sont
pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d'ours ou à
compromettre l'amélioration de l'état de conservation de l'espèce.
L’effarouchement
non létal risque, en revanche, de porter atteinte au maintien de l’ours dans
son environnement
En
revanche, l'article 4 de l'arrêté attaqué, sous réserve que soient remplies les
conditions qu'il prévoit en termes d'attaques des troupeaux, permet à tout
éleveur, groupement pastoral ou gestionnaire d'estive de déposer auprès du
préfet une demande de dérogation permettant le recours à l'effarouchement par
des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou
de cartouches à double détonation et prévoit que les dérogations accordées sont
délivrées pour une durée maximum de six mois.
Il permet la mise en œuvre de ces
opérations d'effarouchement renforcé par l'éleveur ou le berger, titulaires du
permis de chasser, ou par des lieutenants de louveterie ou par des chasseurs ou
par des agents de l'Office français de la biodiversité, après une formation
préalable par les agents de cet Office.
L'arrêté attaqué reprend les
dispositions de l'arrêté du 17 juin 2019 du ministre d'Etat, ministre de la
transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de
l'alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures
d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages
aux troupeaux, jugées contraires à l'article L. 411-2 du code de
l'environnement par une décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du
2 février 2021, en tant qu'elles ouvrent les possibilités de recourir à
l'effarouchement renforcé, sans encadrer suffisamment ses conditions de mise en
œuvre.
Les dispositions attaquées relatives à la mise en œuvre de
l'effarouchement renforcé ne permettent toujours pas de s'assurer, eu égard aux
effets d'un tel effarouchement sur l'espèce, et en l'absence de données
scientifiques nouvelles témoignant d'une amélioration de son état de
conservation, que les dérogations susceptibles d'être accordées sur ce
fondement par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations
concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas
l'amélioration de l'état de l'espèce.
Par suite, les associations requérantes
sont fondées à soutenir que l'arrêté attaqué, en tant qu'il prévoit des mesures
d'effarouchement renforcé, méconnaît les dispositions de l'article L. 411-2 du
code de l'environnement et est entaché d'illégalité.
CE 25
avril 2022, n°442676).

Robert CRAUSAZ